La réintégration d'un salarié protégé suspecté de harcèlement sexuel

L'employeur est-il tenu de réintégrer un salarié suspecté de harcèlement sexuel et mis à pied à titre conservatoire puis licencié lorsque la demande d'autorisation de licenciement a été refusée par l'administration du travail ?

2/28/20253 min read

L'employeur est-il tenu de réintégrer un salarié suspecté de harcèlement sexuel et mis à pied à titre conservatoire puis licencié lorsque la demande d'autorisation de licenciement a été refusée par l'administration du travail ?

La chambre sociale de la Cour de cassation vient de répondre à cette question dans un arrêt inédit du 8 janvier 2025 (23-12.574). 

L'obligation de réintégrer le salarié protégé dont l'autorisation de licenciement est annulée...

Les salariés protégés, statut applicable à certaines catégories de travailleurs (représentants du personnel notamment), bénéficient d'une protection particulière contre le licenciement, destinée à éviter les risques de pression ou de représailles, compte tenu de leur rôle dans le dialogue social.

L'employeur est tenu d'obtenir en amont l'autorisation de licenciement auprès de l'Inspection du travail.

La sanction d'un licenciement en l'absence d'autorisation est lourde : le licenciement est nul. En effet, soit le salarié a droit d'obtenir sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent avec le versement de l'indemnité d'éviction, soit il peut prétendre au versement d'une indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur égal aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre la date de son éviction de l'entreprise et l'expiration de la période de protection en cours, dans la limité de 30 mois de salaire.

S'il demande sa réintégration, l'employeur ou le juge ne peuvent s'y opposer sauf si elle est matériellement impossible.

Dans cette affaire, suite à la dénonciation de harcèlement sexuel, l'entreprise avait dans un premier temps notifié au salarié protégé une mise à pied à titre conservatoire puis avait prononcé le licenciement de ce dernier quelques jours plus tard.

L'inspection du travail a cependant rejeté la demande d'autorisation de licenciement et le salarié a sollicité sa réintégration dans l'entreprise.

En l'absence de réintégration effective par le salarié, il a estimé que l'entreprise manquait gravement à son obligation rendant impossible le maintien dans l'entreprise et a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société pour lui faire produire les effets d'un licenciement nul.

...limitée par l'obligation de prévention du harcèlement sexuel

L'argumentaire du salarié pouvait trouver appui sur une décision antérieure du 4 septembre 2024 (n°23-13.583), par laquelle la Cour de cassation avait pu rappeler que l'impossibilité matérielle de réintégrer le salarié n'est pas établie par les juges du fond qui avaient retenu "qu'il existait des risques de souffrance au travail liés au management et aux relations avec le public pouvant susciter un comporter agressif de la salariée envers elle-même et autrui".  

Or, dans notre affaire, après avoir retenu que les éléments produits au débat faisaient état d'attitudes insistantes et des contacts physiques non recherchés comme des baisers proches des lèvres et des caresses dans le dos, ainsi que des remarques marquant l'intérêt que le salarié leur portait, elle a jugé que ces éléments ne caractérisaient cependant pas de manière certaine des faits pouvant recouvrir une qualification pénale de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle et ne revêtaient pas les caractéristiques d'une cause étrangère ayant empêché de manière absolue l'employeur de réintégrer le salarié.

La Cour de cassation a censuré au visa de : 

  • l'obligation issue de l'article L.1153-5 du code du travail, de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner

  • l'obligation résultant de l'article L.4121-1 du code du travail, d'assurer la sécurité des salariés, notamment par la prévention du harcèlement sexuel.

Elle en a déduit que les juges du fond ne pouvaient retenir que la prise d'acte était justifiée et devait produire les effets d'un licenciement nul, sans avoir rechercher si l'impossibilité de réintégrer le salarié ne résultait pas d'un risque de harcèlement sexuel que l'employeur était tenu de prévenir.

Il appartiendra à la Cour d'appel de renvoi d'analyser si le refus de l'employeur de réintégrer le salarié était justifié par son obligation de prévention du harcèlement sexuel, auquel cas la prise d'acte de la rupture aura les effets d'une démission, ou si au contraire, ce refus n'en reste pas moins injustifié, auquel cas la prise d'acte de la rupture produira les effets d'un licenciement nul.